Un pouvoir de plus en plus autoritaire et répressif
La lente dérive vers le fascisme de tous les régimes en Europe se confirme actuellement en Grèce, comme ailleurs. Elle se caractérise un peu partout par des éléments précis :
– des lois de plus en plus dures contre les migrants, les solidaires et les collectifs en luttes ;
– des tribunaux de plus en plus sévères ;
– des gouvernements de plus en plus arrogants et décomplexés dans leurs délires autoritaires ;
– une police de plus en plus violente et omniprésente ;
– une armée qui se positionne clairement en second rideau, avec des moyens à la hausse et des manœuvres dont l’objet principal est la répression d’une hypothétique insurrection sociale ;
– un contrôle bureaucratique et technologique de plus en plus oppressant de nos vies toutes entières, sans séparation réelle entre la sphère publique et la sphère privée ;
– un objectif avoué de censurer progressivement de toute parole prétendument menaçante contre le système politique ou ses représentants, au prétexte qu’elle représenterait un « danger pour l’ordre social et la paix civile ».
Une fois de plus, ce qui se passe en Grèce donne à réfléchir sur ce qui se prépare également ailleurs en Europe, comme un laboratoire, une ligne de front. En effet, l’exemple grec a permis d’expérimenter, d’année en année, à la fois le durcissement du capitalisme et de la société autoritaire sur le continent, mais aussi différentes formes de résistances.
« Le seuil juridique entre le délit et le crime a été déplacé, notamment pour les actions collectives, avec des conséquences délirantes »
UN NOUVEAU CODE PÉNAL POUR RÉPRIMER LES OPPOSANTS
En Grèce, ce jeudi, le code pénal a encore été modifié ! Une fois de plus, la droite au pouvoir s’est acharnée à durcir la loi contre le mouvement social, malgré l’opposition des partis de gauche. Comme à chaque fois, un cheval de Troie a été utilisé pour justifier le renforcement des peines, dans les médias dominants : « la répression des violences domestiques », en particulier celles faites aux femmes.
Sauf que, dans la réalité, il s’agit plutôt d’un arsenal de plus contre toutes les actions de résistance au sein de la base sociale. Désormais en Grèce, on peut être poursuivi pour des broutilles et aller en prison pour des motifs auparavant secondaires. Le seuil juridique entre le délit et le crime a été déplacé, notamment pour les actions collectives, avec des conséquences délirantes.
Conférence-débat sur le nouveau code pénal et la criminalisation du mouvement social
Déjà, en 2022, le gouvernement grec avait modifié l’article 187A du code pénal qui, désormais, qualifie d’organisation criminelle tout collectif d’au moins trois personnes menant ensemble des actions illégales, même mineures. Cette loi vise en priorité le groupe anarchiste Rouvikonas qui est en première ligne, dans le collimateur du pouvoir, en tant qu’opposition politique réelle sur le terrain et agissant quotidiennement en soutien de la base sociale, dans la lutte et la solidarité, avec une côte de popularité qui ne cesse de monter. Le bras de fer entre l’État et Rouvikonas ne cesse de se durcir et son issue pourrait être explosive dans les temps qui viennent, trois ans après le scandale de la fabrique de faux témoignages par la police contre deux membres du groupe anarchiste, heureusement innocentés lors d’un procès retentissant en novembre 2021 (rappel des faits : http://blogyy.net/2021/11/25/anarchistes-7-0-etat-grec-%e2%98%85-merci-a-tous-les-soutiens/ )
Archive de novembre 2021 concernant l'odieuse machination qui aurait pu envoyer en prison à perpétuité deux militants innocents
Traduction de la presse qui confirme la machination contre les anarchistes
Dessin de presse confirmant la machination et rappelant d’où vient la vraie violence
Désormais, n’importe quel collectif de lutte peut aisément se retrouver dans le même cas : lutte écologiste, lutte sociale, lutte syndicale ou action solidaire avec les sans-papiers, tout le monde est concerné ! En d’autres termes, le pouvoir veut criminaliser les luttes au point de classer en organisation terroriste des collectifs qui n’ont jamais tué personne et se limitent à des dégâts matériels. Cette nouvelle marche franchie est une véritable menace pour tout le mouvement social en Europe. N’importe quel groupe pratiquant un peu de sabotage ou bloquant des événements pourrait subir cette épée de Damoclès judiciaire, ailleurs sur le continent.
Les deux conséquences principales ? D’une part, des sanctions beaucoup plus lourdes et, d’autre part, ces sanctions frapperaient tous les membres identifiés d’un même collectif et pas seulement les auteurs de l’acte ayant entrainé les poursuites.
La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la vérité. » George Orwell, 1984
UNE NOVLANGUE INVERSANT CE QUI EST VITAL ET CE QUI EST MORTIFÈRE.
En observant les éléments de langage déjà utilisés en France et dans tout l’ouest de l’Europe, on remarque que l’emploi du mot « terrorisme » est désormais utilisé pour tout et n’importe quoi, par exemple le néologisme « écoterroriste » ou « djihadiste vert », contre les zadistes de Notre-Dame-des-Landes et maintenant contre le chantier de l’autoroute A69 dans le Tarn. Produit à dessein par le pouvoir, ce glissement sémantique vise à entretenir la confusion entre des défenseurs de la vie, en l’occurrence de la nature, et des individus qui massacrent aveuglément une population dans le but de la terroriser. C’est une façon d’inverser les rôles de la part d’un pouvoir politique qui ne cesse de jouer avec la peur.
Idem en Grèce où l’expression « organisation criminelle » est devenue très courante dans les médias dominants, par exemple dans les émissions de télé les plus abrutissantes équivalentes à celles de C8 et CNews en France.
« interdire, d’ici quelques années, l’essentiel de la propagande révolutionnaire dont le but est de renverser le régime faussement démocratique et profondément inégalitaire »
LE RETOUR PROGRESSIF DE LA CENSURE
L’autre objectif avoué du gouvernement grec est de punir toute parole menaçante contre le système politique ou ses représentants, au prétexte qu’elle représenterait un « danger pour l’ordre social et la paix civile ». Autrement dit, le processus vise à censurer progressivement le mouvement social, en particulier à lui interdire, d’ici quelques années, l’essentiel de la propagande révolutionnaire dont le but est de renverser un régime faussement démocratique et profondément inégalitaire.
Ce projet ressemble fort à une réactivation des lois scélérates qui avaient été mises en place dans les années 1920 en Grèce (visant surtout les communistes à l’époque) et le 11 décembre 1893 puis surtout le 28 juillet 1894 en France (interdisant tout type de propagande anarchiste).
LE RENFORCEMENT DE LA SURVEILLANCE
Autre volet du durcissement du régime en Grèce : le renforcement de la surveillance de la population, notamment avec du matériel de renseignement made in France, comme souvent ces dernières années dans tout le bassin méditerranéen.
On se souvient, entre autres, du soutien des dirigeants politiques et économiques français au régime tunisien à la fin des années 2000, ce qui n’avait pas empêché la chute de Ben Ali début 2011, malgré l’arrivée d’un matériel important. Michèle Alliot-Marie avait même proposé par la suite, le 12 janvier 2011, d’envoyer les CRS et gardes-mobiles français aider la police tunisienne à mater les manifestants, alors même qu’elle commençait à tirer à balles réelles.
Mitsotakis et Macron alliés dans les pires domaines : surarmement, surveillance massive des opposants, nouveaux camps pour enfermer les exilé.e.s, grands travaux inutiles et nuisibles…
En Grèce, l’utilisation à grande échelle de logiciels espions et de systèmes d’écoutes téléphoniques (par mots clés utilisant l’IA) ne sont pas seulement utilisés contre les collectifs en lutte, mais aussi contre les opposants politiques (plusieurs affaires récentes pour violations de la vie privée, mais le premier ministre a été sauvé in extremis par… un changement de procureur) et très souvent aussi contre des journalistes. La surveillance des journalistes grecs est particulièrement étouffante quand leur spécialité concerne la corruption au sein du pouvoir politique et économique.
Pire encore, quand des journalistes s’occupent de la corruption dans la police. C’était le cas du journaliste Giorgos Karaivaz qui a été assassiné devant chez lui en 2021, de façon très bizarre, et dont l’enquête a complètement été bloquée, malgré les demandes répétées de Reporters sans frontières :
https://rsf.org/fr/assassinat-de-giorgos-karaivaz-les-autorit%C3%A9s-grecques-ont-elles-quelque-chose-%C3%A0-cacher
La Grèce se situe aujourd’hui à la 108e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.
Giorgos Karaivaz, un journaliste qui dérangeait de plus en plus l’État grec et sa police
Qui tire les ficelles ? En Grèce, la loi sur les services de renseignement a été modifiée et les a placé désormais sous le contrôle direct du… premier ministre ! Tout cela, ajouté à l’augmentation de la répression policière en Grèce, a poussé la gauche européenne a faire voter une résolution sans précédent, il y a deux semaines, au Parlement européen, tirant « la sonnette d’alarme » contre l’évolution toujours plus autoritaire en Grèce :
https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20240202IPR17312/preoccupations-quant-aux-menaces-qui-pesent-sur-les-valeurs-de-l-ue-en-grece
Une indignation bienvenue, mais facile, quand on sait ce que certains de ces partis sont capables de faire au pouvoir.
LA CRISE QUI NE DIT PAS SON NOM
Depuis une vingtaine d’années, les pseudo démocraties prétendent surtout « faire barrage à l’extrême-droite », mais surfent sur la vague autoritaire en durcissant tout autant le capitalisme que son dispositif d’autoconservation. Rien d’étonnant ! « Le fascisme est le stade ultime du capitalisme en temps de crise », quand son masque tombe et que ses illusions ne suffisent plus à imposer un ordre social archaïque, à la fois liberticide et inégalitaire. Une crise que décrivait ainsi Antonio Gramsci : « La crise consiste dans le fait que l’ancien ordre social meurt et que le nouveau tarde à naître », dans les ruines du premier.
Toute crise, qu’elle soit politique, sociale, écologique ou les trois à la fois, est aussi une crise de sens. Une crise qui questionne l’existence toute entière : ses moyens et ses buts, pour chacun comme pour le collectif. C’est dans cette crise de sens que nous sommes plongés aujourd’hui, dans un trouble profond qui nous montre que nous sommes dans l’impasse à tous les niveaux, à commencer par le système politique qui n’est pas réellement démocratique et qui est la clé du problème.
« La clé du problème » (merci à Kedistan pour l’image)
Voilà pourquoi le pouvoir économique, qui détermine le pouvoir politique grâce à sa possession des médias dominants qui lui permettent de fabriquer l’opinion, a clairement choisi de pousser médiatiquement l’une de ses pièces maitresses : le fascisme. Une sorte de joker utilisable en dernier ressort, quand c’est nécessaire, quand les paillettes du spectacle ne suffisent plus à déformer la réalité, quand la stabilité du régime est compromise. Comme le disait Durruti : « Aucun gouvernement ne combat le fascisme pour le détruire. Lorsque la bourgeoisie s’aperçoit que le pouvoir lui échappe, elle appelle le fascisme pour conserver ses privilèges. »
Mais il ne s’agit pas d’une rupture totale dans la façon de gouverner : c’est juste un raidissement de l’autorité, à toutes les échelles, qui se justifie au moyen d’une opinion publique excitée à cette intention par des médias qui claironnent sans cesse cette prétendue nécessité de « plus d’autorité ». Rien d’étonnant que les pires ennemis du monde autoritaire soient les premiers sur la liste.
LA GRÈCE, REINE DES LEURRES MÉDIATIQUES
En France, les présidents successifs ne s’embarrassent pas d’états d’âmes pour tenter d’améliorer leur image en récupérant celle des résistants du passé. Sarkozy l’a fait en montant au plateau des Glières, déclenchant la riposte de Stéphane Hessel et des Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui (CRHA), et Macron pareillement en accompagnant le couple Manouchian au Panthéon sans laisser leur camarade survivant venir s’exprimer durant la cérémonie.
Cela leur permet de faire croire qu’ils sont du bon côté : celui des défenseurs de la liberté et de l’égalité, et de redorer le blason d’un capitalisme qui prétend être la fin de l’Histoire.
« Les présidents successifs ne s’embarrassent pas d’états d’âmes pour tenter d’améliorer leur image en récupérant celle des résistants du passé. »
En Grèce, dans la même veine, Mitsotakis vient de légaliser le mariage homosexuel et la possibilité d’adopter, neuf ans après Tsipras qui, le premier, avait accordé aux couples de même sexe la possibilité de se pacser. Par contre, il est toujours aussi difficile pour les migrants homosexuels pourchassés de trouver asile en Grèce.
Excepté quand la main d’œuvre sous payée vient à manquer pour le capitalisme, certaines années en Grèce. C’est justement le cas depuis l’année passée : à force de fermer les frontières, l’État a gêné le bon fonctionnement de l’exploitation capitaliste dans les campagnes et le pouvoir économique s’est aussitôt fâché auprès du pouvoir politique qui doit servir ses intérêts. Voilà pourquoi, en contradiction totale avec sa ligne politique contre l’immigration, le gouvernement grec a mis sur pied un permis de séjour provisoire destiné à certains sans-papiers : uniquement ceux qui travaillent parmi les 180.000 ouvriers agricoles, qui peuvent présenter une promesse d’embauche pour l’année à venir et qui peuvent prouver être en bonne santé. Ce permis de séjour exceptionnel est valable trois ans et ne sera accordé qu’une seule fois.
https://www.infomigrants.net/fr/post/53972/la-grece-lance-un-permis-de-sejour-pour-les-travailleurs-sans-papiers
« À force de fermer les frontières, l’État grec a gêné le bon fonctionnement de l’exploitation capitaliste dans les campagnes »
Bref, le capitalisme est au-dessus de tout. Le racisme d’État et la violence de l’autorité ne sont que des moyens de circonstance, des variables ajustées en fonction des besoins, au fil des années, pour fabriquer l’opinion, maintenir l’ordre, servir et protéger les intérêts de ceux qui ont le vrai pouvoir, c’est-à-dire le pouvoir économique : ceux qui feront la pluie et le beau temps, tant que nous ne remettrons pas complètement en question la répartition des richesses et notre façon de prendre les décisions.
Manifestation étudiante du 8 février 2024 à Athènes (photo Mario Lolos).
DES MANIFESTATIONS NOMBREUSES DONT PERSONNE NE PARLE
Durant ce mois de février en Grèce, les manifestations se succèdent, semaine après semaine, à commencer par celles des étudiants contre la privatisation des universités et les prix élevés qui se préparent.
Comme chaque semaine, énormément de monde à la manifestation étudiante du 8 février 2024 à Athènes (photo Mario Lolos)
Cortège anarchiste dans la manifestation étudiante du 8 février 2024 à Athènes (photo Nikolas Georgiou)
Cortège anarchiste dans la manifestation étudiante du 16 février 2024 à Athènes (photo Nikolas Georgiou)
Comme souvent, une charge policière contre la manifestation étudiante du 1er février 2024 (photo Mario Lolos)
Les charges policières sont monnaie courante, mais la riposte ne manque pas. Une fois de plus, le pouvoir ne tient que par sa police, c'est-à-dire la fonction principale de l'État pour la classe dirigeante.
Riposte contre les violences policières durant la manifestation étudiante du 1er février 2024 (photo Mario Lolos)
Les retraités manifestent aussi, car ils n’arrivent plus à vivre de leur pension misérable, alors que les prix des produits de première nécessité n’arrêtent pas de monter ! Parmi les revendications : la santé gratuite.
Manifestation des retraités contre la misère, le 13 février 2024 à Athènes (photo Nikolas Georgiou)
Des manifestations nombreuses (photos de Mario Lolos et Nikolas Georgiou) dont personne ne parle en France... des fois que ça donnerait des idées!
Mais malheureusement, toujours pas de grève générale reconductible à l’horizon, alors que c'est précisément la hantise des pouvoirs économique et politique. Dommage !
« La colline de Strefi va rester sauvage » au cœur du quartier d’Exarcheia à Athènes
UNE BELLE VICTOIRE À EXARCHEIA : LA COLLINE DE STREFI EST LIBÉRÉE !
Après des mois d’une lutte intense, la police et les investisseurs ont finalement quitté la colline centrale du quartier d’Exarcheia : la verdoyante Strefi. Ce lieu de ballades, de rencontres, d’événements artistiques et sportifs, d’actions sociales et politiques est à nouveau libre et sauvage. Un lieu ouvert à toutes les initiatives, à l’autogestion, à l’horizontalité. Un lieu qui fait à nouveau l’objet d’assemblées pour penser ensemble « un autre futur ».